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Des haïku

de 17 mores, des hacho, ji-amari, ji-tarazu et muki haïku

mardi 25 décembre 2018, par Marc Weikmans

Note liminaire

Pour les puristes, la forme traditionnelle du haïku est composée de 17 mores 5/7/5. mais des transgressions existent et sont parfois tolérées. Les haïkus avec quelques mores de plus ou de moins sont parfois tolérés, sous la forme hachō (rythme brisé), et des termes techniques les désignent : un haïku de plus de 17 mores est dit ji-amari (« lettres en trop »), et un de moins de 17 mores est dit ji-tarazu (« lettres en moins ») ; cependant, ils ne sont considérés comme de bons haïkus que si la brisure semble inévitable pour obtenir l’effet produit. Les haïkus de type 5-5-7 ou 7-5-5 (voire 5-12 ou 12-5 quand un mot enjambe une division) sont plus fréquents. (L’œuvre du troisième maître classique, Issa, présente de nombreux exemples de chacune de ces transgressions.). Dans cet article, quelques exemples de haïku classiques, de hacho, de ji-amari, de ji-tarazu et muki-haïku.


Tombe de Yosa Buzon



  • Sōkan
  • Bashō
  • Mattō
  • Kobayashi Issa
  • Quelques modernes
  • Une écriture spontanée

    Sōkan

    Un tercet typique de Sōkan :

    « Même
    lorsque mon père se mourait
    je pétais »
    — (trad. Atlan et Bianu)


    Ce type de trivialité en a outragé certains à l’époque, mais n’est pas entièrement dénué de profondeur : outre qu’il consigne un simple fait, il rappelle avec humour que même dans des circonstances tragiques la vie continue. Ce type de juxtaposition et de surprise sera raffiné au siècle suivant par Bashō qui exploitera souvent les mêmes effets de manière moins vulgaire, comme dans ce haïku similaire :



    « Épanouie au bord de la route
    Cette rose trémière
    Broutée par mon cheval »

    — Bashō (trad. Alain Kervern)



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    Bashō

    Pour Bashō, le haïku n’est pas dans la lettre mais dans le cœur. Il s’efforce d’exprimer la beauté contenue dans les plus simples choses de la vie :



    « Paix du vieil étang.
    Une grenouille plonge.
    Bruit de l’eau. »


    Dans cette manière de poème, Bashō parvient à exprimer « l’interpénétration de l’éternel et de l’éphémère ». C’est également une poésie de l’allusion et du non-dit qui fait appel à la sensibilité du lecteur. Par exemple, il évite de décrire l’évidente beauté du mont Fuji :



    « Brume et pluie.
    Fuji caché. Mais maintenant je vais
    Content. »



    Bashō pratique également le journal de voyage qu’il entremêle de délicats poèmes. Le plus célèbre d’entre eux est La Sente étroite du Bout-du-Monde (Oku no hosomichi) mais ils relèvent tous d’un genre impressionniste qui voit le poète s’arrêter devant des paysages ou des scènes de la vie quotidienne et laisser venir le poème que cette vision suscite en lui.

    En passant devant les ruines du château ou périt le célèbre Minamoto no Yoshitsune alors qu’il était assiégé par l’armée de son frère Yoritomo, le poète est frappé de voir qu’il ne reste rien de cette gigantesque bataille, de tous ces glorieux combats et que la nature a repris ses droits :
    « Herbes de l’été.
    Des valeureux guerriers
    La trace d’un songe. »


    Nourri de culture chinoise et de philosophie bouddhiste, Bashô crée des contrastes saisissants qui, un peu à la manière des koan de l’école bouddhique du Zen, nous invitent à dépasser la dualité des phénomènes et à nous libérer de nos illusions  :



    Shizukasa ya
    iwa ni shimiiru
    semi no koe


    « Silence
    le chant des cigales
    pénètre les rocs »


    Né Matsuo Kinsaku (松尾 金作 ?), et devenu après l’enfance Matsuo Munefusa (松尾 宗房 ?)2, il est issu d’une famille de bushi. Il se lie d’amitié avec le fils de son seigneur, le jeune Yoshitada, mais la mort de son ami le conduit à renoncer à une carrière classique de guerrier et à étudier les lettres. À ce moment, Bashō prend l’habit de moine et part suivre l’enseignement de plusieurs maîtres, dont Kitamura Kigin, à Kyōto. Sept ans plus tard, il part pour Edo (moderne Tōkyō) où il publie son premier recueil de poèmes dont le célèbre :
    « Sur une branche morte
    Les corbeaux se sont perchés
    Soir d’automne. »


    Plus tard, il crée sa propre école poétique. Il pratique le haïku avec un groupe de disciples dans son ermitage de Fukagawa à partir de 16803. Le surnom de cet endroit est « l’Ermitage au bananier » (Bashō-an) car un bananier lui avait été offert par l’un de ses disciples. Il le planta devant son ermitage – où il se trouve toujours – mais on ne sait pas pourquoi il lui emprunta son nom de plume.

    Le style nouveau qui caractérise son école est le style shōfū (蕉風). Celui-ci peut se définir par quatre mots :

    sabi : c’est la recherche de la simplicité et la conscience de l’altération que le temps inflige aux choses et aux êtres ;
    shiori : il s’agit des suggestions qui émanent du poème sans qu’elles ne soient formellement exprimées ;
    hosomi : l’amour des choses humbles et la découverte de leur beauté ;
    karumi : l’humour qui allège du sérieux et de la gravité.
    Pour Bashō, le haïku n’est pas dans la lettre mais dans le cœur. Il s’efforce d’exprimer la beauté contenue dans les plus simples choses de la vie :

    « Paix du vieil étang.
    Une grenouille plonge.
    Bruit de l’eau. »


    Bashō est le premier grand maître du haïku et sans aucun doute le plus célèbre au Japon où il reste littéralement vénéré.
    "Muraille de Chine ―
    Ouvrant sa chemise blanche,
    elle donne le sein"


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    Mattō

    Née à 松任 (Mattō, plus rarement prononcé Matsutō), préfecture d’Ishikawa, elle commence à étudier le haïku dès l’âge de douze ans. À dix-sept ans, elle est reconnue par le maître Shikō Kagami (1665-1731). Elle se marie à dix-huit ans, mais son mari meurt deux ans plus tard. Devenue bonzesse en 1754, elle se lie d’amitié avec de nombreux haïjins de cette époque.

    Poésie

    Les fleurs, et en particulier les liserons (volubilis dans certaines traductions), reviennent souvent dans ses haïkus :



    « Les chevaux au galop
    reniflent leurs jarrets –
    un parfum de violettes »

    — (trad. Atlan et Bianu)

    « S’ils se referment au matin
    les volubilis –
    c’est par haine des hommes ! »

    — (trad. Atlan et Bianu)


    Son haïku le plus célèbre est d’ailleurs celui dit du liseron et du seau, dont il existe de nombreuses traductions dans chaque langue ; en voici deux en français :



    « Le liseron
    A mis ses doigts sur le seau de mon puits
    Je dois aller emprunter de l’eau au voisin »

    — (trad. Coyaud, 1993)

    « le liseron
    au seau du puits s’est enroulé
    à mon voisin je vais quémander de l’eau »

    — (trad. Cheng, 2005)

    Deux poèmes illustrent particulièrement bien la peine d’Issa après la mort de sa première fille :
    露の世は
    露の世ながら
    さりながら

    Tsuyu no yo wa
    Tsuyu no yo nagara
    Sarinagara

    "Rosée que ce monde
    Rosée que ce monde-ci
    Oui, sans doute et pourtant"

    秋風や
    むしりたがりし
    赤い花

    Akikaze ya
    Mushiri ta gari shi
    Akai hana

    "Sous la brise d’automne
    ces fleurs rouges
    qu’elle aurait tant aimé arracher"

    "Muraille de Chine ―
    Ouvrant sa chemise blanche,
    elle donne le sein"

    Yûko Onda


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    Kobayashi Issa (1763-1828)

    Auteur de plus de 20 000 haïkus, Issa se détache du classicisme de Buson en souhaitant notamment donner une place à l’émotion personnelle.



    "Matin de printemps -
    Mon ombre aussi
    Déborde de vie !"


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    Quelques modernes

    Masaoka Shiki (1866-1909)

    Considéré comme le père du haïku moderne, dont il détermina le nom, il se détache du type romantique d’Issa pour revenir à l’essence même du style où le réalisme et le descriptif reprennent leurs droits. Le poème ci-après a été écrit lors de sa visite au jardin Kairaku-en.


    "Une falaise raide
    les pruniers tous ensemble
    s’inclinent"

    Muki Haïku

    Au fil des siècles, le haïku fera l’objet de quelques évolutions dues notamment à l’ouverture sur le monde, aux guerres, aux mutations de la société... Ainsi, alors que le Seconde Guerre Mondiale fait rage, le muki haïku, ou haïku libre fait son apparition. Décriés des puristes, ces poèmes ne mentionnent plus nécessairement la notion de saisonnalité, permettant ainsi aux poètes d’inscrire leurs émotions dans un contexte nouveau, élargi et plus contemporain.



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    Une écriture plus spontanée

    En effet, les saisons à elles seules ne suffisent plus à refléter l’émotion d’un instant. Ainsi, certains haïjin décriront leurs blessures de guerres quand d’autres brosseront la vibrante activité industrielle du pays. Certains iront même jusqu’à s’affranchir du rythme imposé par la composition traditionnelle, permettant une souplesse qui favorisera une écriture plus spontanée. Le haïku, et plus largement la poésie, ne sont pas des pratiques réservées à une élite. Que ce soit par l’existence de nombreux clubs de poésie ou par la publication de haïkus dans les plus grands quotidiens du pays, la poésie fait partie intégrante de la culture populaire japonaise.


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