L’écriture est la peinture de la voix - Voltaire

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Le Valeureux liégeois

Le chant patriotique et la liégeoise

dimanche 23 décembre 2018, par Marc Weikmans


  • Le chant d’origine
  • La liégeoise
  • Une dernière version
  • La révolution liégeoise
  • Origines du mécontentement
  • Interprétations

    Note liminaire
    Comme on le constate souvent, les chants patriotiques naissent de la volonté populaire de s’exhorter au courage et de faire appel à la fibre patriotique de tous, pour contribuer à une cause commune que tous croient juste. Cependant, lorsque ces chants sont créés, ils nécessitent un point de ralliement, soit une personne qui rassemble les strophes et les soumettent en un texte, appuyé d’un air qui fera l’unanimité. C’est ainsi que Marseillaise, Brabançonne, Martiniquaise et autres, ont connu plusieurs versions qui ont été, à des périodes successives, adaptées au contexte politique et social du moment. Au travers de cet article, je tente, non seulement de démontrer le contexte de ce chant, mais aussi d’en retracer les évolutions.


    Le chant national d’origine de la principauté de Liège : le Valeureux liégeois


    Valeureux liégeois !
    Marchez à ma voix,
    Volez à la victoire ;
    La liberté
    De la Cité [Dans nos foyers]
    Vous couvrira de gloire.


    I.
    Célébrons par nos accords,
    Les droits sacrés d’une si belle cause,
    Et rions des vains efforts
    Que l’ennemi nous oppose.

    II.
    Que peut craindre notre ardeur,
    Quand sous Chestret nous portons [tous] les armes ;
    A côté de ce vainqueur
    Le péril [même] a des charmes

    III.
    Tendre époux, jeunes amants,
    Pour quelques jours quittez [toutes] vos belles ;
    Reparoissez triomphants,
    Vous [en] serez plus dignes d’elles.

    IV.
    Mesdames ce n’est que pour vous
    Qu’on brigue de porter l(d)es chaînes ;
    Ecrasons nos tyrans jaloux
    Et soyez nos souveraines


    Armoiries de la Principauté de Liège



    Remarque :

    Si les deux couplets (1 & 2), pour d’autres (1 & 3), et le refrain sont de Gilles-Joseph -Evrard Ramoux (1750-1826), curé de Glons de 1784 à 1826, la composition musicale lui serait bien antérieure. La mélodie aurait déjà été chantée sous l’épiscopat de Jean-Théodore de Bavière (1744-1763). L’auteur est resté inconnu.

    G. Ramoux aurait écrit les deux strophes et le refrain de sa chanson à la suite de l’appel de Rouveroy, le 27avril 1790, exhortant les patriotes liégeois " à expulser des foyers de leurs concitoyens les ennemis de la patrie qui ont osé y pénétrer ". Cette proclamation fut affichée sur tous les édifices de la ville.
    Devenue très populaire, la chanson de Ramoux reçut des couplets nouveaux.

    Par un avertissement qu’il fit paraître dans la Gazette Nationale Liégeoise du 9 janvier 1793, G. Ramoux fit savoir qu’il n’en était pas l’auteur.

    Après les journées de septembre 1830 (La révolution belge), Joseph Gaucet (1811-1852), un jeune poète de 19 ans, pour certains Charles Duvivier, composa, sur l’air du Valeureux Liégeois, La Liégeoise, dont certains couplets sont parfois repris dans le chant de Ramoux et dont d’autres sont sans doute volontairement oubliés.

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    La liégeoise

    L’air de la liégeoise a également été le chant de marche des volontaires liégeois, menés par Charles Rogier, en route pour porter main forte à Bruxelles lors des événements de septembre 1830 – début de la révolution qui conduisit à l’indépendance de la Belgique.
    Cette version fut encore celle enseignée dans les écoles primaires (le Fondamental d’aujourd’hui) des années soixante.

    Belge valeureux
    Pense à tes aïeux
    A leur noble courage !
    Que de sages lois
    Défendent tes droits ;
    Repousse l’esclavage.

    César vainqueur de l’univers,
    Te décerna le nom de brave ;
    Des romains tu brisas les fers,
    Aujourd’hui tu vivrais esclave !

    au refrain

    Belge, en tout temps la liberté
    Te fit entendre sa parole ;
    Parfois soumis, jamais dompté,
    Tu la pris toujours pour idole.

    au refrain

    Si jadis on put endormir
    Ta vigilance et ton courage,
    Le jour qui te vit asservir,
    Te vit sortir de l’esclavage

    au refrain

    Mais d’où viennent ces bataillons
    et ces flots de guerriers bataves ?
    Pour qui sont les fers, les canons
    Que traînent ces hordes d’esclaves ?

    au refrain

    Et toi peuple dégénéré,
    Va-t-en, retourne dans tes villes ;
    Hollandais, ton sang abhorré
    Souillerait nos plaines fertiles,

    au refrain

    Pour vaincre le Belge irrité,
    Guillaume, laisse là tes armes ;
    Fais qu’à ses yeux la liberté
    Apparaisse avec tous ses charmes.

    au refrain

    Belge, en cet instant solennel,
    Entends la voix de la patrie,
    Et viens jurer sur son autel
    De lui sacrifier ta vie.

    au refrain

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    Une dernière version

    Pour résumer, ce chant patriotique, le ‘’Valeureux Liégeois’’ a été créé vers 1790, quand la Révolution liégeoise est menacée par le retour des troupes autrichiennes venant rétablir l’autorité du prince-évêque César-Constantin-François de Hoensbroeck.

    Il est controversé de savoir si c’est l’abbé Ramoux qui a écrit le « Valeureux Liégeois » en 1790, à la demande de Lambert-Joseph de Donceel, commandant des milices liégeoises, qui souhaite un hymne national « pour expulser des foyers de nos concitoyens les ennemis de la patrie qui ont osé y pénétrer ou s’il s’agit de quelqu’un d’autre ; il est possible que ce soit l’écriture de plusieurs révolutionnaires qui avaient besoin du crédit d’une personne écoutée pour que ce chant soit adopté ; ce n’est guère étonnant en ces périodes troublées comme ce fut également le cas pour La Brabançonne qui connut plusieurs versions.

    Voici les paroles de cette autre version de cet air patriotique, plusieurs fois modifié (le texte original ne comporte que deux couplets ; celui reproduit ci-dessous en compte quatre).

    Refrain :

    Valeureux Liégeois,
    Fidèles à ma voix,
    Volez à la victoire !
    Et la liberté de notre Cité
    Vous couvrira de gloire.

    Célébrons par nos accords
    Les droits sacrés d’une si belle cause,
    Et rions des vains efforts
    Que l’ennemi nous oppose.

    Que peut craindre notre ardeur ?
    Sous Chestret nous portons les armes :
    A côté de ce vainqueur
    Le péril a des charmes.

    César vainqueur de l’univers
    Te décerna le titre de brave,
    Des Romains tu brisas les fers,
    Jamais tu ne vécus esclave.

    Tendres époux, jeunes amants
    Pour quelques jours, quittez vos belles ;
    Reparaissez triomphants,
    Vous en serez plus dignes d’elles.

    Les étudiants liégeois de l’Université de Liège, des régionales liégeoises des autres universités (Université Catholique de Louvain) et des hautes écoles liégeoises ont pour tradition d’entonner une version qui comporte ce refrain :

    Valeureux Liégeois,
    Fidèle à ma voix,
    Vole à la victoire.
    Et la liberté
    De notre cité
    Te couvrira de gloire.

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    La révolution liégeoise

    La Révolution liégeoise (en wallon : Revolucion lidjwesse ou Binamêye revolucion, c’est-à-dire, la Révolution bienheureuse) est la période qui va de 1789 à 1795, et qui entraînera la disparition de la principauté de Liège après huit siècles d’existence.

    Selon Hervé Hasquin, la Révolution liégeoise était un miroir de la Révolution française ou en était même une partie. La Révolution en France et à Liège commença simultanément en 1789, et dans cette interprétation la Révolution liégeoise continuait après le retour temporaire du prince ; elle connut une deuxième phase avec l’entrée des troupes révolutionnaires françaises en 1792, et une troisième phase en 1794 avec le deuxième retour des Français.

    Alors, la révolution finit en 1795 par la disparition de la principauté et son incorporation à la République française. Pendant cette phase la révolution a montré des épisodes extrêmes, par exemple la démolition de la cathédrale Saint-Lambert par les révolutionnaires liégeois mais également des épisodes prometteurs : Les Liégeois purent, pour la première fois, exprimer leur volonté à travers des élections au suffrage universel masculin et un plébiscite pour la réunion de la Principauté à la France.

    Selon d’autres [réf. nécessaire], la révolution se déroula pendant la période où le prince-évêque était absent, dès son départ pendant la nuit du 26 au 27 août 1789 jusqu’à son retour le 12 février 1791. Dans cette interprétation, la Révolution liégeoise était la contrepartie de la Révolution brabançonne dans les Pays-Bas autrichiens, qui a échoué.

    Cependant, il y a une contradiction dans cette interprétation : la Révolution liégeoise, à l’instar de la Révolution française, a pour but une remise en question profondément progressiste de l’ordre politique et social, au contraire de la Révolution brabançonne qui s’inscrit dans la contestation et le rejet des réformes progressistes de Joseph II.
    La Révolution liégeoise aboutira à la réunion de la Principauté à la France, alors que les Liégeois ne participèrent pas à la Révolution brabançonne, ni aux États-belgiques-unis.

    La cathédrale St Lambert détruite par les révolutionnaires



    La Révolution liégeoise fut, comme on peut s’y attendre, une période troublée : en 6 années, les Liégeois passèrent du régime épiscopal à la France en passant par une République liégeoise et par plusieurs restauration du pouvoir ecclésiastique. Il est donc nécessaire de retracer la chronologie des événements-clés pour bien comprendre les aléas du destin de la Principauté pendant cette période.
    • 1772 : Velbrück est désigné prince-évêque de Liège, il encourage les arts et les idées nouvelles jusqu’à sa mort en 1784.
    • 1784 : Hoensbroeck remplace Velbrück sur le trône épiscopal, il est beaucoup plus autoritaire et réactionnaire que son prédécesseur.
    • 1789 : La révolution éclate simultanément à Paris et à Liège. Hoensbroeck fuit en Allemagne et la République liégeoise est proclamée.
    • 1791 : Première restauration : l’armée autrichienne replace Hoensbroeck sur le trône épiscopal. La plupart des patriotes liégeois s’exilent à Paris.
    • 1792 : Hoensbroeck meurt et est remplacé par François-Antoine-Marie de Méan qui doit fuir précipitamment suite à la bataille de Jemappes, qui permet aux troupes françaises de Dumouriez de prendre le contrôle de la principauté et des Pays-Bas autrichiens.
    • 1793 : Les citoyens liégeois plébiscitent la réunion de la principauté à la France. Mais à la Bataille de Neerwinden, les Autrichiens défont les troupes françaises et restaurent, pour une seconde fois, le prince-évêque à Liège.
    • 1794 : Bataille de Fleurus et bataille de Sprimont, les Français reprennent la principauté.
    • 1795 : L’incorporation de la principauté à la France est entérinée par la Convention nationale.

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    Origines du mécontentement

    Le prince-évêque François-Charles de Velbruck (1772-1784), esprit émancipé, se montre favorable aux philosophes et laisse se répandre les idées nouvelles. C’est même de la « Société Libre d’Émulation de Liège », qu’il fonde en 1779 pour encourager le goût des arts, des lettres et des sciences, que sortiront certains chefs de la révolte. Car la révolte gronde déjà. Depuis le Règlement de 1684, le pouvoir appartient au prince-évêque, aux chanoines de la cathédrale Saint-Lambert et à l’aristocratie. Le bas clergé, la petite noblesse, la bourgeoisie industrielle, les ouvriers, les paysans, ne participent donc pas à la gestion des affaires publiques. En outre, la situation du petit peuple n’est guère enviable ; le chômage et la mendicité sévissent ; des voix s’élèvent pour réclamer des changements politiques et davantage de justice sociale. En 1784, c’est Mgr César-Constantin-François de Hoensbroeck qui devient prince-évêque. Hostile à toute réforme, ce souverain autoritaire attise la rébellion qui couve. En juin 1787, Mgr Hoensbroeck envoie dans la ville thermale de Spa deux cents hommes et deux canons pour faire fermer une maison de jeu. L’événement et le long procès qui s’ensuit sont le prétexte d’un regain de contestation, et la révolution qui éclate à Paris en juillet 1789 achève d’échauffer les ardeurs.

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    La révolution proprement dite

    Le 18 août 1789, Jean-Nicolas Bassenge et d’autres démocrates se rendent à l’hôtel de ville. Ils réclament la démission des magistrats en place et font nommer des bourgmestres populaires : Jacques-Joseph Fabry et Jean-Remy de Chestret. La citadelle de Sainte-Walburge tombe aux mains des insurgés. Mgr Hoensbroeck est ramené de sa résidence d’été de Seraing pour ratifier la nomination des nouveaux édiles et abolir le règlement tant contesté de 1684. Mais il ne s’agit là que d’une ruse. Quelques jours plus tard, le prince s’enfuit à Trèves, en Allemagne. Le tribunal de l’Empire condamnera l’insurrection liégeoise et ordonnera le rétablissement de l’ancien régime dans la principauté de Liège. En attendant, le caractère insurrectionnel de la révolution liégeoise est tel qu’elle aboutit à la création d’une république, deux ans avant la France2. Les États du pays de Liège préparent une Constitution dans laquelle on trouve notamment l’égalité de tous devant l’impôt, l’élection des députés par le peuple et la liberté du travail.
    Le drapeau de la Principauté.

    De novembre 1789 à avril 1790, les Prussiens occupent Liège et d’autres grandes villes de la principauté, chargés d’une mission de médiation entre les révolutionnaires et le Cercle de Westphalie.
    En 1790, Jacques-Joseph Fabry et Arnold-Godefroid-Joseph Donckier de Donceel sont élus corégents de Liège.
    Mais il est impossible de concilier les aspirations libérales du peuple liégeois et l’entêtement autoritaire de Mgr Hoensbroeck en exil. L’empereur d’Autriche Léopold II, après avoir repris possession des Pays-Bas, intervient pour rétablir le pouvoir épiscopal dans son intégrité.

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    Interprétations

    Selon Hervé Hasquin1, la révolution liégeoise reflète la Révolution française, voire en est une partie. Les deux révolutions commencèrent simultanément en 1789 et, dans cette interprétation, la révolution liégeoise a continué après le retour temporaire du prince pour connaitre une deuxième phase avec l’entrée des troupes révolutionnaires françaises en 1792, et une troisième phase en 1794 avec le deuxième retour des Français. La révolution finit donc en 1795 avec la disparition de la Principauté et son incorporation à la République française. Pendant cette phase, les révolutionnaires liégeois procèdent à la démolition de la cathédrale Saint-Lambert et organisent le premier suffrage universel masculin au sein de la Principauté, pour la mise sur pied d’une nouvelle assemblée puis d’un plébiscite pour la réunion de la Principauté à la France.
    Vue des ruines de la grande arcade de l’ancienne cathédrale de Liège, prise en regardant le palais du prince, par Jean-Noël Chevron.


    Selon d’autres, la révolution se déroula pendant la période où le prince-évêque de Liège était absent, dès son départ pendant la nuit du 26 au 27 août 1789 jusqu’à son retour le 12 février 1791. Dans cette interprétation, la révolution liégeoise est la contrepartie de la révolution brabançonne dans les Pays-Bas autrichiens, qui a échoué. Cependant, il y a une contradiction dans cette interprétation : la révolution liégeoise, à l’instar de la Révolution française, a pour but une remise en question profondément progressiste de l’ordre politique et social, au contraire de la révolution brabançonne qui s’inscrit dans la contestation et le rejet des réformes progressistes de Joseph II. La révolution liégeoise aboutit à la réunion de la Principauté à la France, alors que les Liégeois ne participèrent pas à la révolution brabançonne, ni aux États belgiques unis.

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    Références. :

  • Bulletin de l’Institut Archéologique Liégeois, Liège, Impr J.G. Carmanne-Clayes, no 2,‎ 1854, p. 110-118
  • Paul Harsin, La Révolution liégeoise de 1789, Bruxelles, Renaissance du Livre, coll. « Notre Passé », 1954, p. 194
  • Philippe Raxhon, La révolution liégeoise de 1789, vue par les historiens belges de 1805 à nos jours, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, coll. « Etudes sur le XVIIIe siècle », 1989, 199 p.
  • Georges Hansotte (dir.), La révolution liégeoise de 1798, Bruxelles, Crédit communal, 1989, 245 p.
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